• LA COMMUNE DE PARIS, 18 mars 1871 …

    En exergue de cet article, une citation de la philosophe Simone Weil : « Croire à l'histoire officielle, c'est croire sur parole les criminels. ». Ceci s'applique si bien à La Commune de Paris !

    Pendant longtemps la mémoire de la Commune de Paris a été portée par les vainqueurs, les Versaillais, et encore aujourd'hui.

     18 mars 1871, début de La Commune de Paris, moment unique dans l'histoire de notre pays, court moment puisqu'elle s'achèvera le 28 mai de la même année par la semaine sanglante.

    72 jours dont le retentissement nous émeut encore aujourd'hui. 72 pour construire une société plus égalitaire.

    72 jours pour rêver et travailler à un monde meilleur.

    72 de générosité, solidarité, fraternité.

    Un épisode de notre histoire d'où sont sorties quelques pépites.

    Mais aussi, 72 jours de guerre, de massacres, de trahison et d'infox, oui, un réseau spectaculaire de mensonges alimenté par Adolphe Thiers et les Honnêtes Gens, ainsi qu'ils se nommaient eux-mêmes.

    Comment en est-on arrivé là ?

    La France est en guerre contre la Prusse. Les troupes de Bismarck encerclent Paris. La population des beaux quartiers fuit vers la province. Les autres, petits rentiers, boutiquiers et ouvriers, sont épuisés par le siège de la ville, la famine, sans travail mais soumis aux humiliations et provocations du chef de l'exécutif de la toute jeune République du 4 septembre 1870.

    Oui, mais ça branle dans le manche comme l'a écrit et le chantait Jean-Baptiste Clément, chansonnier et communard. Auteur aussi du Temps des cerises.

    Le 7 janvier, apparaît sur les murs de Paris et des faubourgs l'affiche rouge, rédigée par Jules Vallès et Edouard Vaillant, signée de 110 noms. Cri de révolte contre le pouvoir en place se terminant par « place au peuple, place à la Commune ».

    Une partie des 200 000 gardes nationaux, milice citoyenne issue de la Révolution de 1789, mène des actions anti-gouvernementales en réponse à l'inertie contre l'ennemi prussien et aux provocations d'Adolphe Thiers.

    L'étincelle viendra d'une ultime provocation : l'enlèvement raté des canons des Gardes Nationaux entreposés sur la butte Montmartre. Dans la nuit du 17 au 18 mars l'armée régulière, sous les ordres de deux généraux, s'infiltre pour s'emparer de ces fameux canons acquis par souscription par la Garde Nationale.

    La population alertée s'interpose, pactise avec les troupes versaillaises. Les généraux donnent ordre de tirer sur la foule.  Les soldats baissent leur fusil, crosse à terre.

    Refus.

    Les deux généraux sont tués. Thiers prend peur, il s'enfuit. Tout ce qui reste d'administration dans la capitale part rejoindre l'assemblée et le gouvernement déjà à Versailles.

    Jules Ferry, alors maire de Paris, sera le dernier à partir.

    Une petite parenthèse : deux Jules s'affrontent, deux conceptions de la République : Jules Ferry, le versaillais, le républicain conservateur et Jules Vallès, le Communard le républicain révolutionnaire.

    Le pouvoir a déserté et dans l'après-midi du 18 mars le Comité Central de la Garde Nationale se décide à s'installer à l'Hôtel de ville. Tout se passe dans le plus grand calme. Les amateurs d'un grand soir en seront pour leur frais. C'est ainsi, tant que cela a pu être possible, les Communards ont appelé au calme. Jules Vallès écrivait dans le Cri du peuple, son journal : «Les fusils au repos, au travail, au travail.»

    Certains comme Georges Clémenceau, tout jeune maire de Montmartre tentent une conciliation. Hélas, si les communards se veulent pacifiques mais fermes sur leurs objectifs, les Versaillais, intransigeants, déclarent la guerre civile.

    Les uns fourbissent leurs armes et négocient avec l'ennemi prussien, les autres se mettent au travail. Eugène Varlin, membre du Conseil de la Commune, écrit : « le comité de la Garde Nationale se sent investit d'une mission sociale. Profitons de ce moment pour faire un pas dans le social ». Ce n'est pas un pas que les communards feront, mais un formidable bond !

    Des élections ont lieu le 26 mars. La Commune de Paris est officiellement proclamée le 28, c'est la fête dans toute la ville ! Sur les 81 membres, 25 ouvriers, une première !et des étrangers, élus comme les citoyens français, ça aussi, une première. La Commune de Paris conjugue Patriotisme et internationalisme.

    Mais aussi diverses sensibilités qui vont de l'extrême gauche aux socialistes modérés - pour le dire avec nos mots d'aujourd'hui - Mais tous convaincus du «perfectionnement intellectuel et moral de l'humanité, de l'amélioration matérielle et sociale de la condition humaine».

    Qu'on en juge le programme publié le 19 avril :

    "Que demande la Commune ? Reconnaissance et consolidation de la République compatible avec les droits du peuple... la garantie absolue de la liberté individuelle, la liberté de conscience, la liberté du travail " Je cite toujours : «C'est la fin d'un vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, des monopoles, des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage … La lutte engagée entre Paris et Versailles est de celles qui ne peuvent se terminer par des compromissions illusoires», fin de citation.

    C'est le programme de la Commune de Paris 1871.

    Portées par un idéal d'émancipation, les idées bouillonnent dans l'Athanor de l'Hôtel de ville ! Le Travail et la Justice en seraient les deux piliers.

    Utopie et réalisations concrètes se mêlent. Les membres élus du Conseil de la Commune repartaient le soir dans leur arrondissement rejoindre les nombreux comités de citoyens qui travaillaient à des propositions. Il faut citer, notamment, le Comité de vigilance des citoyennes de Montmartre dont faisait partie Louise Michel. C'est la première expérience de démocratie directe, du moins en France.

    Ces 72 journées ont vu l'avènement politique de la classe ouvrière. Les Versaillais sont aux portes de la ville, les combats continuent, des mouchards s'infiltrent partout répandant leurs infox et les Communards travaillent sans relâche de midi à minuit et souvent plus !!

    Léo Frankel, 27 ans, orfèvre juif hongrois, membre de l'Internationale des travailleurs rappelle : «nous ne devons pas oublier que la révolution du 18 mars a été faite par la classe ouvrière».

    En effet, la plupart des Gardes Nationaux était issue de la classe ouvrière, syndicalistes, internationalistes : ils ont posé les bases des coopératives ouvrières, des bourses du travail, des logements sociaux. La population se réapproprie les moyens de production en redémarrant les ateliers abandonnés par les patrons en fuite, les « francs fileurs » ainsi nommés par de facétieux communards.

    Les femmes, bien que non élues, sont présentes : elles mettent en place des ateliers féminins autogérés, des écoles professionnelles pour filles et garçons. Sur les salaires, le 21 mai 1871, Edouard Vaillant écrit : «La commune de Paris considérant que les exigences de vie sont nombreuses et impérieuses pour la femme autant que pour l'homme, décide que le salaire des institutrices sera le même que celui des instituteurs», un premier pas vers l'égalité des salaires.

    On doit aussi aux Communards la séparation de l'église et de l'État, 34 ans avant la loi de 1905.

    Elle instaure l'école laïque, gratuite et obligatoire avant que Jules Ferry ne le promulgue quelques années plus tard.

    La Commune une expérience inédite, des actes innovants et une multitude de possibles.

    Quelle richesse dans cette diversité !

    Visionnaires, courageux ainsi étaient les Communards.

    Citons quelques-uns des membres élus du Conseil de la Commune.

    Eugène Varlin, ouvrier relieur, membre de l'AIT, (Association Internationale des Travailleurs), syndicaliste. Il œuvre pour que l'ouvrier et l'ouvrière puissent développer leur intelligence dans du temps libre, il est partisan de la journée de 8h, de l'égalité des sexes.

    Charles Longuet, membre de l'AI, journaliste. Il reprend le Journal Officiel, abandonné. Il y chronique quotidiennement l'événement. Une mine d'information pour les historiens.

    Edouard Vaillant, écrivain, médecin, membre de l'AIT.  Il s'attache à réorganiser les écoles primaires.

    François Jourde, 28 ans en 1871, délégué aux finances. La probité même. Tellement intimidé par «les billets de banque en tas et les monceaux d'or mis sous clé», en citant Jules Vallès, qu'il ne touchera pas à ce trésor et les Versaillais retrouveront la Banque Nationale intacte.

    Les membres de la Commune étaient loin d'être ces pilleurs, têtes brûlées décrit par les Honnêtes Gens, dont George Sand qui écrit : « des ânes grossièrement bêtes ou de coquins de bas étage. La foule qui les suit est en partie dupe et folle, en partie ignoble et malfaisante ». Mme Sand, victime des infox versaillaises ?

    Gustave Courbet, membre du Conseil de la commune et du Comité de vigilance, le peintre de «l'Origine du monde» était responsable des Beaux-Arts. Il voulait déboulonner la colonne Vendôme, symbole de l'Empire, honnit, de Napoléon 1er. Elle sera en fait mise à terre sur un lit de fumier le 16 mai. Il finira ses jours exilé, ruiné, condamné à rembourser les dégâts.

    Et les femmes ? Non élues, ce pas là n'était pas encore franchi ! Mais à l'avant-garde de bien des sujets sociaux dans les Comités d'arrondissement où elles ont soufflé beaucoup de bonnes idées à ces messieurs. Par ailleurs, elles n'étaient pas en reste au combat, à l'instar de Louise Michel. Habillée en garde national, elles partaient à l'assaut des barricades.

    Connaissez-vous Nathalie Le Mel, bretonne, elle fut libraire à Quimper, féministe, 1ère femme membre de l'AIT, soutenue par Eugène Varlin.

    Elisabeth Dmitrieff, 20 ans, russe, amie de Karl Marx, féministe. Fondatrice avec Nathalie Le Mel de l'Union des femmes pour la défense de Paris et des soins aux blessés. Association essentielle dans la reconnaissance du travail et des droits des femmes.

    Andrée Leo, Léo Dile Bera de son vrai nom. Féministe, militante, journaliste, romancière, femme éclairée. Elle a 47 ans en 1871, un passé de militantisme actif, notamment avec Louise Michel. Elle crée déjà en 1868 l'association pour l'amélioration de l'enseignement des femmes ! Défend l'égalité des sexes. Faisons revivre aussi Anna Jaclard, 27 ans, aristocrate russe, amie de Dostoïeski qu'elle refuse d'épouser, préférant partir à Paris étudier la condition ouvrière. Membre très actif de l'Union des femmes.

    Maria Verdure à l'origine de la création des crèches. Et tant d'autres ...

    La Commune de Paris, ce laboratoire progressiste a jeté bien des bases «pour un monde meilleur et plus éclairé» certes dans l'urgence et la confusion parce que sous la menace des canons versaillais, à quoi s'ajoutaient les dissensions entre le Comité Central de la Garde Nationale et le Conseil de la Commune qui un  temps hélas se divise, les plus radicaux formant un «Comité de Salut Public», triste référence à 1793 !

    Inexorablement l'étau versaillais se resserre. Le 21 mai les troupes gouvernementales entrent dans Paris. C'est le début de la semaine sanglante. Du 21 au 28 s'instaure une chasse à l'homme impitoyable, les dénonciations fusent de partout. C'est la curée !!

    Certains parviennent à fuir comme Charles Longuet qui épousera plus tard Jenny Marx, la fille de Karl. D'autres choisissent la mort sur une barricade comme Charles Delescluze, 71 ans, journaliste, doyen du Conseil.

    Louise Michel et Nathalie Le Mel, arrêtées les armes à la main elles demandent la mort, elles seront déportées en Nouvelle Calédonie. Eugène Varlin, reconnu sur un banc, dénoncé par un prêtre, sera quasiment lynché par la foule des petites gens qu'il avait tellement à cœur d'émanciper.

    Paris est à feu et à sang. Attention au mythe des pétroleuses inventé de toutes pièces par les Honnêtes gens !

    Paris brûle mais la faute aux obus incendiaires de l'armée versaillaise et aux feux allumés par les fugitifs pour retarder les poursuivants !

    Dimanche 28 mai, fin de la résistance à Paris.

    147 communards sont fusillés devant le mur du cimetière du Père Lachaise. Ce lieu, devenu le mur des Fédérés, deviendra un lieu à la mémoire de la Commune.

    À Versailles, une messe d'action de grâces est célébrée en l'Église Saint Louis, en attendant l'édification du Sacré Cœur, puissant symbole anti-communard ...

    La Commune de Paris n'a pas eu le temps d'appliquer son programme révolutionnaire. L'importance de cet événement ne tient pas à ses réalisations concrètes mais, comme l'a écrit Karl  Marx : «La grande mesure sociale de la Commune ce fut sa propre existence et son action.»

    Pour conclure, je citerai l'historien Roger Martelli : Par-delà leur diversité et leurs divergences, les Communards s’en tiennent à ce qui est leur - et j'ajoute, notre -  bien commun, « La République démocratique et sociale ».

    Bruno Girardon

     

    Pour aller plus loin

    Film documentaire : Les damnés de la Commune

    https://www.arte.tv/fr/videos/094482-000-A/les-damnes-de-la-commune/ Film documentaire

    Conférences d’Henri Guillemin sur la Commune (intégrale)

    https://www.youtube.com/watch?v=5NrDXZ78oCU

    Illustration sonore

    La semaine sanglante chantée par Francesca Solleville

    https://youtu.be/Zhum-7DDlNk

    Quelques lectures


     

     

    « Le vieux monde, c’est Macron. A la gauche d’en proposer un nouveau !Célébration des victimes de la déportation »

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