• Laïcité : les prémices (Partie II)

    Réfléchir aujourd’hui à la notion de laïcité implique certainement qu’on en saisisse les grands évènements de son histoire.

    Laïcité : les prémices

     

    Comment et pourquoi la France a-t-elle été amenée à envisager et à construire le modèle de laïcité qui est le nôtre aujourd’hui ? Pourquoi ce modèle s’est révélé unique, spécifique au regard, par exemple, à ceux qui ont été choisis par d’autres pays : la Grande Bretagne, les Etats unis notamment ?

    Réfléchir aujourd’hui à la notion de laïcité implique certainement qu’on en saisisse les grands évènements de son histoire. Comment et pourquoi la France a-t-elle été amenée à envisager et à construire le modèle de laïcité qui est le nôtre aujourd’hui ? Pourquoi ce modèle s’est révélé unique, spécifique au regard, par exemple, à ceux qui ont été choisis par d’autres pays : la Grande Bretagne, les Etats unis notamment ?

     

    Dès le début, deux éléments caractérisent l’histoire de la laïcité :

    • la lutte permanente entre le pouvoir temporel (le roi) et le pouvoir spirituel (la religion, le pape) 
    • la philosophie des lumières qui a imprégné l’Europe entière (les libertés, la tolérance…).

     

    La France à la veille de la Révolution : un Etat confessionnel

    Pendant treize siècles la France de l’ancien régime a été un Etat confessionnel qui reposait sur la religion catholique et sur une monarchie de droit divin.

    Le clergé, qui était le premier ordre du royaume, se caractérise par :

    • le bénéfice de privilèges exceptionnels,
    • l’exercice de fonctions sociales reconnues,
    • l’exercice du culte et l’assistance aux pauvres et aux malades
    • le monopole de l’éducation Le contrôle des universités, des écoles et des livres.

     

    Dans ce contexte, l’Eglise n’admet aucune liberté de penser ni de religion et impose à tous les sujets les « devoirs envers Dieu ». Au regard du pouvoir spirituel et temporel, le pape Boniface VIII, au XIII -ème siècle, pose le principe suivant : « Le pape, vicaire du Christ, Christ lui-même, a deux glaives, le spirituel et le temporel ; le glaive spirituel est dans sa main, le glaive temporel dans la main des rois, mais les rois ne peuvent s’en servir qu’en faveur de l’Eglise ».

     

    Cette théocratie donne au pape une souveraineté sur les rois et sur les nations. Mais cette suprématie papale est rapidement récusée par les rois :

    • Philippe Le Bel entre en conflit avec le pape Boniface VIII et impose dans la monarchie en France, l’autonomie du pouvoir politique face au pouvoir spirituel de la papauté.
    • Louis XIV fait proclamer, dans la déclaration des quatre articles, rédigée par Bossuet et adoptée par l’assemblée du clergé de France : « Les papes n’ont reçu de Dieu qu’un pouvoir spirituel » et, « Les rois et princes ne sont soumis, dans les choses temporelles, à aucune puissance ecclésiastique ».

     

    On est encore loin de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais cette remise en cause du temporel et du spirituel dans les seules mains de l’Eglise, est le premier pas vers une remise en cause de la théocratie. Le principe de « tel prince, telle religion » que les royaumes en Europe ont adoptée, est mis en péril, en France, avec le développement de l’idée de « tolérance religieuse » qui permet d’admettre des sujets de confessions différentes : Les juifs et les protestants ne bénéficient que d’un état particulier accordé par un prince et non de l’affirmation d’une liberté religieuse reconnue.

    Des faits importants marquent l’histoire : L’Edit de Nantes en 1598 par Henry IV et son contraire, la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 qui a conduit à la chasse et à la persécution des protestants.

     

    C’est pourtant dans ce contexte, que se développera l’esprit des lumières, en réaction à l’intolérance de l’Eglise et de l’Etat. La revendication de la liberté de conscience, de la liberté de religion et de la liberté de pensée fera son chemin jusqu’à la Révolution. La philosophie des lumières s’est propagée dans toute l’Europe.

    • En France, elle est représentée par des philosophes, des écrivains, des hommes politiques, des savants, comme Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Pierre Bayle et Condorcet. Pierre Bayle (1647-1706) élargit la tolérance aux non croyants et au droit au blasphème. Voltaire (1694-1778) écrit le « Traité sur la tolérance » et s’implique dans la défense de ceux qui sont victimes de l’intolérance, Calas et le chevalier de la Barre.
    • En Angleterre, John Locke (1632-1704) publie ses « écrits sur la tolérance » qui s’opposent à l’absolutisme et ajustent les champs politiques et religieux. « Le politique s’occupe du monde présent et la religion du monde de l’au-delà. Ce sont deux mondes qui ne peuvent interférer.

     

    La Révolution française s’appuiera sur la philosophie des lumières qui inspirera la Révolution américaine mais dans des contextes différents :

    • En Amérique, la Révolution nait dans l’absence de religion et de pouvoir politique antérieurs.
    • En France, la Révolution résulte de l’existence préalable d’un régime politique de droit divin et d’une religion catholique intolérante.

     

    L’œuvre de la révolution française

    Le 28/8/1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame la liberté et l’égalité en droit de tous les hommes, préalablement à toutes leurs différences de condition, de position ou de religion.

    • Article 1 : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions ne peuvent être fondées que sur l’utilité publique ».
    • Article 10 : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

     La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame la souveraineté de la Nation : Article 8 : Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ».

     Le 4/8/1789, l’abolition de la société d’ordres et de ses privilèges. Les biens de l’Eglise sont restitués à la Nation. La société d’ordres abolie, c’est la fin de la représentation politique du clergé.

     

    Le 28/8/1789, l’’Assemblée rejette la reconnaissance du catholicisme comme religion d’Etat. 

     

    Le 12/7/1790, la constitution civile du clergé est votée. Le clergé doit prêter serment et jurer fidélité « à la Nation, à la loi et au roi ». L’investiture canonique est retirée au pape et la Nation réorganise les diocèses.

     Nota : Si la non-reconnaissance du catholicisme comme religion d’Etat est un premier pas vers la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la gestion des biens de l’Eglise par la Nation et la constitution civile du clergé relèvent moins d’une volonté de laïcité que du choix propre au gallicanisme (l’Etat doit contrôler politiquement la religion alors soumise à la tutelle de l’Etat).

     

    1791 : Face aux conséquences de la constitution civile du clergé et aux désordres qu’elle a provoqués (La France coupée en deux, celle des prêtres jureurs et celle des prêtres réfractaires), l’Assemblée décide de tolérer le culte réfractaire.

     

    1792 : Dans un contexte de déchristianisation et d’anticléricalisme, une loi se réserve le droit de déporter les prêtres « soupçonnés de ne pas être fidèles à la Révolution ». Le 20/9/1792 : La première République autorise le divorce et laïcise l’Etat civil désormais géré par des fonctionnaires assermentés par l’Etat.

    Nota : Il s’agit là d’un « changement de nature « selon Emile Poulat et pas simplement d’un « transfert de responsabilité ». Ce sont des mesures de ce type que la III -ème République prendra pour laïciser l’Etat et la société civile (enterrements civils, municipalisation des cimetières, laïcisation des personnels hospitaliers).

     

    1793 : Dans le contexte de la déchristianisation et d’anticléricalisme, et compte tenu des exactions contre les prêtres, un décret de décembre interdit formellement toute violence et réaffirme la liberté religieuse.

     

    1794 : Dans le cadre d’un débat sur les questions financières proposant la suppression du budget des cultes, la Convention évoque, pour la première fois, la possibilité d’une séparation de l’Eglise et de l’Etat. La Convention, par décret du 18/9/1794 adopte la séparation et la suppression du budget des cultes. Il met à la constitution civile du clergé. « La République ne paie plus les frais ni les salaires d’aucun culte » (ce sont pratiquement les termes de l’article 2 de la loi de 1905.

     

    Le 21/2/1795, la Convention nationale répond aux persécutions anti religieuses par un décret qui :

    • punit tous troubles ou outrages aux cérémonies d’un culte,
    • réaffirme la liberté de culte si elle n’est pas prosélyte,
    • règlemente le rassemblement de citoyens pour l’exercice du culte,
    • interdit tout signe particulier dans un lieu public. 

     Nota : L’initiateur de ce décret, François Antoine de Boissy-d’Anglas, déclarait : « Citoyen, le culte a été banni du gouvernement, il n’y rentrera plus. Vos maximes doivent être à son égard celles d’une tolérance éclairée, mais d’une indépendance parfaite ». On a, ici, une parfaite similitude avec l’esprit de la loi de 1905. 

    1795 : C’est aussi le vote de la Constitution de l’an III par la Convention qui proclame :

    • une République une et indivisible,
    • l’universalité des citoyens La liberté conçue comme celle « qui consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui ».

     

    Avant la Révolution, les religions minoritaires (Juive et protestante) ne sont pas reconnues. La Révolution française les reconnaîtra en leur accordant la citoyenneté française, en 1789 pour les protestants et en 1791 pour les juifs. Ils sont donc électeurs et éligibles. Alors que d’autres pays se contentaient, au mieux, de tolérer juifs et protestants, l’honneur de la Révolution française sera d’être allé, avec le bénéfice de la citoyenneté française, jusqu’au bout du processus d’intégration.

     

    L’œuvre de la Révolution française a été immense même si tout n’a pas pu être mis en place (à cause notamment du concordat qui sera instauré à partir de 1802). Il reste, cependant, que la Révolution française a mis en place les bases et le contexte qui permettront à la III -ème République de construire le modèle de laïcité dans lequel nous vivons encore aujourd’hui.

    PB

     

     








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